La 19ᵉ édition du Festival du film coréen se termine, une semaine riches en découvertes : films, animations, courts-métrages… Et si en ouverture, nous avions le déjanté Handsome Guys réalisé par Nam Dong-Hyub avec l’acteur Lee Hee-Joon, tous deux présents pour l’occasion, pour sa séance de clotûre, le festival accueille le premier long-métrage du jeune et talentueux Koya Kamura avec Roschdy Zem et Bella Kim (en interview ici) : Hiver à Sokcho. Nous avons pu rencontrer le réalisateur quelques heures avant sa projection en avant-première française à Paris. Le film est prévu en salle française à partir du 8 janvier 2024.
Rencontre avec Koya Kamura (Réalisateur)
Je suis vraiment tombé amoureux du roman, du personnage et de cette histoire
K-Society : Bonjour et merci de nous recevoir à quelques heures de la projection de votre film, Hiver à Sokcho, qui va clôturer cette 19ème édition du Festival du Film Coréen à Paris !
Koya Kamura : Merci à vous !
K-Society : Avant toute chose, la question que tout le monde se pose : Mais qui est donc, Koya Kamura ?
Koya Kamura : Et c’est une très bonne question ! (rires) Je me nomme Koya Kamura, je suis réalisateur, jeune réalisateur, non pas dans l’âge, mais parce que j’ai commencé il y a peu de temps dans le milieu du cinéma, même si c’est ce que je voulais faire depuis très longtemps. J’ai réalisé jusqu’à présent, un court métrage qui s’appelle, Homesick, que j’ai tourné à Fukushima et je viens de réaliser mon premier long métrage qui se nomme Hiver à Sokcho, avec Bella Kim et Roschdy Zem en tête d’affiche.
K-Society : Belle affiche ! Vous le disiez, vous avez décidé de réaliser un film sur la Corée pour votre premier long métrage, pourquoi ce pays en particulier ?
Koya Kamura : Alors, étonnamment, ce n’était pas mon premier choix. J’étais en réalité en train d’écrire un film qui se passait au Japon, à Fukushima, à nouveau, un long métrage qui s’inscrit dans la continuité de mon premier cours, Homesick. Et, je dois dire que je m’embourbais un petit peu dans l’écriture au moment où mon producteur m’a parlé de ce roman, Hiver à Sokcho que j’ai lu, un peu par politesse, dans un premier temps, parce que j’étais concentré sur mon projet personnel à ce moment-là. Mais dès lors que j’ai commencé à rentrer dans l’histoire du roman, ma lecture ne relevait plus du tout de la politesse. Je suis vraiment tombé amoureux du roman, du personnage et de cette histoire qui était racontée. J’ai eu l’impression de me connecter vraiment au personnage, de me connecter à l’autrice du roman avec qui j’ai pu beaucoup discuter par la suite. J’ai adoré l’arène de cette histoire qui se passe donc à Sokcho, qui est une petite ville balnéaire mais qui est complètement vide en hiver. D’une certaine manière, même si bien évidemment je fais la part des choses, je retrouvais un petit peu ces paysages vides, en tout cas cette idée là que j’avais filmée à Fukushima. Et donc, dès la première lecture du roman, j’avais déjà des images en tête et j’ai compris que j’avais vraiment envie de l’adapter à l’image, au cinéma.
K-Society : C’est donc une véritable rencontre qui s’est opérée entre vous et le roman, en un sens ?
Koya Kamura : Exactement avec le roman, mais aussi avec l’autrice. On s’est parlé assez rapidement, dès que j’ai eu envie du coup de pousser plus loin et je pense qu’il y a eu vraiment une connexion immédiate avec elle. On a des passés similaires et beaucoup de points communs : On s’est posé des questions similaires dans nos parcours de vies, l’un et l’autre. Et je pense que la vision que j’avais de son roman et de la vision que j’avais, du film, que je voulais faire, allait dans le sens de ce qu’elle imaginait, de ce qu’elle avait en tête. Quand on s’est rencontrés, elle voulait surtout s’assurer que son œuvre n’allait pas être complètement trahie. Et je crois ça a été vraiment le cas, ce qui fait que la collaboration derrière s’est très bien passée. Même si elle n’est pas intervenue du tout sur l’écriture, elle est passée sur le tournage.
K-Society : Elle a vu le résultat final ?
Koya Kamura : Absolument et elle a eu des mots qui m’ont énormément touché ! Je crois que le film lui a beaucoup plu et a remué beaucoup de choses chez elle aussi…
K-Society : Comment le choix du casting s’est effectué ?
Koya Kamura : Roschdy Zem, c’est quelqu’un que j’avais en tête dès l’écriture parce que dans sa filmographie il y avait énormément de films qui m’ont profondément touché. C’est un acteur extraordinaire. Dès l’écriture, je l’imaginais, parfaitement apporter certaines choses au rôle qui allait vraiment dans le sens de ce que j’imaginais. Mais je l’avais en référence, j’étais loin de l’envisager comme une vraie possibilité. Je me disais étant donné que c’est mon premier film, je n’ai encore rien fait, je viens de nulle part, il y a vraiment aucune chance qu’un comédien de ce calibre-là accepte un projet comme ça.
C’est mon producteur qui a insisté pour qu’on aille au bout de la démarche. On lui a envoyé le scénario et au final, Roschdy a aimé le projet et très rapidement a accepté de le faire, ce qui était vraiment fou pour moi ! Je savais qu’il allait être un atout énorme pour le film !
Quant à Bella, c’était un rôle qui était compliqué à caster parce que je voulais une jeune femme qui parle parfaitement coréen, mais aussi avec un très bon français. Idéalement, qu’elle soit métisse, même si Bella n’est pas métisse au final…Je voulais surtout qu’elle soit très grande parce que c’était très important pour moi, qu’à l’image, il y ait une forme d’équité. Je ne voulais pas qu’il y ait un rapport de force dominant-dominé de la part de cet Occidental de 50 ans qui arrive en Corée, et qui passe du temps avec une jeune Asiatique. Je voulais vraiment éviter de tomber dans ça, donc c’était vraiment très important pour moi. Aussi, il y avait très peu de profils, j’ai dû rencontrer quatre ou cinq jeunes femmes qui n’étaient pas du tout comédiennes, avant de tomber sur Bella. Très vite, elle m’a convaincue, de par sa compréhension du rôle, en me posant des questions qui étaient hyper pertinentes. Elle a par ailleurs beaucoup travaillé de son côté avant qu’on la confirme, quelques mois plus tard.
K-Society : C’était donc un peu un pari de miser sur elle ?
Koya Kamura : Complètement, et vraiment, je me félicite encore de ce choix car on a des retours exceptionnels sur le choix de nos deux comédiens ! Je suis pour ainsi dire « aux anges ».
K-Society : Est-ce que vous pourriez nous en dire un petit peu plus, sans spoiler évidemment, sur cette relation qui va naître entre les personnages de Soo-Ha et Yan ?
Koya Kamura : Soo-Ha, c’est une jeune femme de 23 ans à peu près qui vit en Corée du Sud, à Sokcho donc, une ville qui est vraiment mitoyenne à la frontière avec la Corée du Nord. Elle est franco-coréenne, mais elle n’a jamais connu son père français parce qu’il est parti peu de temps avant sa naissance. Et donc elle grandit dans cette ville, auprès de sa mère poissonnière, son petit copain, et monsieur Park qui tient une pension dans laquelle elle travaille. Son histoire et toute l’arche du film, c’est comment cette jeune femme qui, au moment où le film démarre, est un peu à l’arrêt dans sa vie et qui se contente de suivre ce qu’on attend d’elle, ce qu’attend sa mère, ce qu’attend son copain, ce qu’attend son patron, mais sans prendre de décision elle-même, comment va-t-elle commencer à se mettre en marche et se mettre en mouvement pour commencer à avancer, à prendre des décisions et à faire des choix pour elle-même ? Et tout ça commence avec un déclic provoqué par l’arrivée de Yan Kerrand, interprété par Roschdy Zem, qui arrive un beau jour dans la pension dans laquelle elle travaille pour se concentrer sur son album, son roman graphique. Ce dernier va rester pour une durée indéterminée, et de là, va naître entre eux une relation aussi confuse qu’ambiguë et qui va s’éclaircir, en tout cas peut être au fil du film…
K-Society : Concrètement, comment s’est passé le tournage ? Est-ce que vous avez des anecdotes ou des souvenirs en particulier qui vous ont peut-être plus marqué que d’autres ?
Koya Kamura : Le tournage, globalement, s’est très bien passé, malgré certains impératifs. Ça s’appelle « Hiver à Sokcho », on est donc normalement en plein hiver à Sokcho sauf que pour des raisons de calendrier, on a dû tourner un peu décalée, fin Février précisément. On a commencé à tourner et pour moi, la grande question c’était est ce qu’on allait avoir de la neige ou pas ? Il se trouve qu’à peine arrivé à Séoul, je me suis rendu compte qu’il avait neigé 30 centimètres de neige dans tout le pays, donc c’était parfait. Et après, tout le reste du tournage, la question était de savoir comment essayer de préserver cette neige ? Comment essayer de garder ce froid, cette voix et cette atmosphère qui est vraiment propre à l’hiver ? Et ça passait par la neige, mais ça passait par plein d’autres choses aussi. Les odeurs, la buée, voilà toutes ces choses-là. Et donc non, le tournage s’est super bien passé. Des anecdotes, j’en ai plein, mais ce que j’ai trouvé formidable c’est qu’il y avait quelques français qui sont venus en Corée et qui ont travaillé avec la majorité de l’équipe coréenne, en ayant des manières de faire diamétralement opposées. Culturellement, on ne fonctionne pas pareil. Or, on a tous appris à travailler ensemble. Et je trouve qu’assez rapidement, en quelques jours, sur la première semaine, on a tous accordé nos violons et tout s’est fait vraiment dans le sens du film et dans le sens du plateau. Et donc c’était vraiment un plaisir hyper enrichissant pour moi, globalement en tant que réalisateur.
K-Society : Le tournage a duré combien de temps ?
Koya Kamura : On a tourné 6 semaines. C’est long, c’est intense et c’est ce qui fait toute la différence d’un court métrage parce qu’il se passe plus ou moins la même chose, mais ça demande beaucoup plus d’endurance, ça demande beaucoup plus de concentration pendant des très longues durées. Et c’est vrai que c’était assez éreintant pour être honnête.(rires)
K-Society : Il est éreinté. Rien que pour ça je m’adresse à nos lecteurs : allez-voir ce film !
Koya Kamura : Et pourtant ça s’est bien passé. Donc quand ça se passe mal je n’ose même pas imaginer !(rires)
K-Society : Votre film fait partie de la programmation et surtout a été choisi pour la cérémonie de clôture. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
Koya Kamura : Ah mais je n’ai même pas réussi à l’accueillir ! Je viens au Festival du Cinéma Coréen à Paris régulièrement depuis des années. J’ai commencé par aller voir les sélections de courts métrages à l’époque. Puis après, je suis à chaque fois venu voir deux ou trois films et quand là on me dit que le film sera au festival et qu’en plus il y fera la clôture, je n’y crois même pas. Pour moi, c’est une sorte de Sacre avant l’heure !
[…]Pour moi, c’est une sorte de Sacre avant l’heure !
K-Society : C’est beau. Et d’ailleurs, vous avez pu regarder d’autres films pendant cette édition ?
Koya Kamura : Alors cette année pas du tout, parce que j’étais en promotion pour le film, malheureusement. Et pourtant, la programmation m’attirait énormément.
K-Society : Vous avez un premier court métrage qui se nomme, Homesick, qui revient sur la tragédie de Fukushima ? Pour quelles raisons ?
Koya Kamura : Je suis franco-japonais. Mon père est originaire de Nagasaki, qui a été frappé par les bombardements atomiques en 45. Et je pense que la catastrophe de 2011 dans le Tohoku m’a profondément marqué. C’était en 2011, et en 2012, j’ai eu mon premier enfant, mon fils, qui est né à ce moment-là, et je pense que tout ça a déclenché chez moi un besoin de raconter une histoire autour de la parentalité, la paternité.
je pense que tout ça a déclenché chez moi un besoin de raconter une histoire autour de la parentalité, la paternité.
Étonnamment, alors que je sais que je vais faire des films depuis toujours, je n’ai jamais complètement réussi à terminer un scénario. J’avais toujours des bribes d’idées, un début d’intro, un morceau de dialogues, un morceau de séquence, mais sans jamais aller au bout. Et pour le coup Homesick, c’était vraiment la première fois que j’ai pu écrire mon scénario de A à Z, en même pas trois semaines. Il y avait quelque chose d’irrépressible, à ce stade, j’imagine.
K-Society : Vous préparez également un second court métrage au casting franco-japonais : L’enlèvement de John Malkovich. Pourriez-vous nous en parler ?
Koya Kamura : C’est un film qui, qui n’a rien à voir avec les autres. En tout cas, en apparence. Avec Homesick, j’étais dans un drame comprenant des aspects fantastiques. Sur Hiver à Sokcho, on est sur un drame. Le prochain long métrage est un drame au penchant fantastique aussi. Et je pense que dans tout ça, on est sur des drames encore une fois très intimes à chaque fois. Au fond de moi, les films qui m’ont bercé plus jeune, c’était des gros films très populaires, de grands spectacles, de grands films américains, des comédies et de suspense. Et d’une certaine manière, j’ai quand même une envie aussi d’aller vers ce cinéma-là. L’enlèvement de John Malkovich est donc une comédie de suspense avec un ton qui n’a rien à voir avec tous mes autres films, et auquel j’avais vraiment envie de me frotter. Et donc, c’est un film que j’ai tourné juste avant de tourner, Hiver à Sokcho, mais que j’ai terminé après avoir tourné, Hiver à Sokcho. On a commencé la post prod avant et on l’a terminée après le long métrage. C’est un film dont je suis très fier parce qu’encore une fois, il propose autre chose et il me permet d’explorer aussi d’autres pistes et d’autres directions…
K-Society : Est-ce que pour vous, le cinéma, est une manière d’explorer des thématiques que vous n’auriez pas pu faire autrement ?
Koya Kamura : Je ne me suis jamais posé la question de manière consciente, mais je pense qu’inconsciemment, oui, et ce n’est même pas moi qui m’en rends compte, c’est mon entourage. Mon premier film parle de relation père-fils. Hiver à Sokcho, parle de relations mère-fille et de l’absence d’un père dans la vie de sa fille. Le court métrage, L’enlèvement de John Malkovich, parle aussi de relation père-fils avec l’absence d’un père. Donc je pense qu’il y a plein de choses qui effectivement, au final, infusent par la force des choses dans mon écriture. J’ai abordé des thématiques avec la volonté de « juste faire un film d’espionnage, juste faire un film fantastique avec des fantômes », puis, il se trouve qu’au final, je me retrouve avec un film qui est beaucoup plus proche de moi que ce que j’imaginais.
K-Society : C’est une sorte de quête de soi ?
Koya Kamura : Oui en effet qui se retrouve en filigrane de tous mes projets d’une certaine manière.
K-Society : Est-ce que pour terminer, vous auriez peut-être un petit message à faire passer à nos lecteurs et surtout, j’allais dire, aux fans de cinéma et de séries asiatiques en général ?
Koya Kamura : Je suis moi-même un grand fan de cinéma asiatique et notamment de cinéma coréen. Memories Of Murder de Bong Jo-Ho, c’est mon film de chevet. Il fait de fait partie de mes références principales pour mon prochain projet. Je dirais donc de continuer à porter le cinéma coréen ! Parce que plus on est nombreux à le regarder, plus on en aura. Et je pense que c’est un vivier qui est exceptionnel et j’espère intarissable…
Merci encore à Koya Kamura et au FFCP pour cette superbe programmation et ses invités de qualité.
HIVER À SOKCHO
Réalisateur : Koya Kamura
Acteurs : Roschdy Zem, Bella Kim, Park Mi-hyeon