Greenhouse dépeint avec brio l’extrême ironie de la vie d’une femme, séparée, luttant contre la dépression, qui n’a que pour seul souhait, de vivre avec son jeune fils. Le thriller raconte l’histoire de Moon-jung, cette aide-soignante à domicile qui s’occupe avec dévotion, abnégation et bienveillance d’un vieil homme aveugle, et de sa femme. Mais quand un accident brutal sépare les deux époux, tout accuse Moon-jung. Elle se retrouve à devoir prendre une décision intenable.
Un synopsis qui vous plante un décor sombre dans lequel vous allez bientôt être happé sans pouvoir en sortir avant d’arriver à la scène finale. La cinéaste nous transporte dans un voyage aussi déroutant que haletant, aussi malaisant que passionnant. Elle nous dépeint les travers de la société coréenne, à travers des personnages qui incarnent chacun d’entre eux, un mal-être à part entière, la solitude (de Moon-Jung, mais aussi finalement du vieil homme face à sa condition physique), la démence (de l’épouse), le handicap (du vieil homme, de la mère de Moon-Jung), la dépression (Moon-Jung, les membres du groupe de soutien) et l’isolement (incarné par tous les acteurs à des degrés différents).
Nous, spectateurs, devenons, d’un coup, témoins d’une tragédie qui se déroule sous nos yeux et assistons à la transformation des individus, de prime abord ordinaires, en personnages dignes des plus grands films noirs tant qu’à force de pressurisation, ils perdent le contrôle de la situation.
Tragédie : Miroir réaliste de la société coréenne
Cette tragédie est le miroir réaliste d’une société coréenne ultra-moderne, mais qui fait face à de nombreux problèmes societal, comme la situation des personnes âgées, très souvent laissés pour compte (il est coutume, en Corée, que les parents, une fois âgés, soient pris en charge par les enfants), des personnes situation de handicap ou encore en dépression, qui faute de moyens, ne peuvent pas se soigner et se retrouvent la plupart du temps, isolées du reste de la société.
À travers l’histoire de Moon-jung, la cinéaste construit une œuvre pleine d’ambivalences, entre violence et douceur, destruction et dévotion. La première scène nous interroge immédiatement sur le passé de Moon-jung, dont nous n’en saurons finalement pas grand-chose. À la voir si douce et bienveillante, elle force la fascination. On comprend assez rapidement que cette douceur n’est autre que résilience et effacement de soi. Son dévouement force aussi l’admiration car sa vie est somme toute chaotique, au point qu’il paraît surhumain qu’elle ait tant d’énergie à donner aux autres.
La douceur de Moon-Jung n’est autre que résilience et effacement de soi.
Moon-jung, interprétée par Kim Seo-hyung, a la quarantaine, c’est une femme bien intentionnée, effacée et essentiellement honnête dont la vie a été extrêmement injuste. Toujours malchanceuse en amour, on la découvre mère célibataire, dévouée à un fils adolescent, plutot bourru, qui purge une peine en détention pour mineurs (dont on ne connaîtra jamais la nature exacte du crime). Elle vit, de façon temporaire, dans une serre isolée et précaire, (nous rappelant fortement celle que l’on voit dans le film Burning de Lee Chang Dong), reconvertie en habitat de fortune, le temps de pouvoir s’offrir, de ses maigres économies, un nouvel appartement, pour elle et son fils, après sa libération imminente.
Un personnage à la dualité extraordinaire
Moon-jung est une femme d’une dualité extraordinaire, à la fois fragile et forte pour les autres, mais elle est sujette à des crises d’automutilation (qui se manifestent par de violentes gifles, dont on ignorera toujours les raisons). N’ayant pas les moyens de payer un psychiatre, elle rejoint ainsi un groupe de thérapie pour dépressifs et autodestructeurs, où elle se liera d’amitié avec une jeune femme douce, mais collante, et surtout émotionnellement fragile, qui s’attachera à Moon-jung de manière obsessionnelle et intrusive, Soon-nam (Ahn So-yo).
Dans la vie, Moon-jung travaille de longues heures comme aide-soignante au domicile d’un couple de personnes âgées, Tae-jung (Yang Jae-sung) et Hwa-ok Lee (Shin Yeon-sook). Lui est aveugle, elle, souffre de la maladie d’Alzheimer, dont Moon-jung supporte à longueur de journée les réactions aussi brutales qu’imprévisibles de la femme qui, dans des accès répétés de sénilité et de paranoia, l’accuse de vouloir la tuer. Heureusement qu’elle peut toujours compter sur la bienveillance et la gentillesse du mari, pour égayer ce quotidien sordide. Le vieil homme considère Moon-jung comme sa propre fille et se montre chaque jour reconnaissant pour le soin et le soutien qu’elle prodigue à son foyer, compensant l’absence d’un fils bien plus occupé par sa carrière que préoccupé par le sort de ses parents.
Si on la voit s’occuper de ce vieux couple, Moon-jung est également désemparée et culpabilisée par le sort de sa propre mère âgée (Won Mi-won), qui, on ne sait comment ni pourquoi, n’a plus l’usage de la parole et vit misérablement dans une maison de retraite où sa fille se rend quotidiennement pour s’en occuper. Les destins de tous ces personnages tourmentés vont inéluctablement s’entrelacer douloureusement au fur et à mesure que le film se déroule.
Alors que la pression continue de s’accumuler à mesure que les minutes défilent, un coup du sort vient bousculer la trajectoire du film, qui bascule dans le sordide. Il n’en fallait pas plus pour que le film change de vitesse, rebattant les cartes et renversant les rôles de chacun, à la manière du film Parasite de Bong Joon-ho.
Lee Sol-hui, une jeune réalisatrice prometteuse
Lee Sol-hui, jeune réalisatrice prometteuse, parvient avec ce génie caractéristique du cinéma coréen à mélanger les genres entre drame social virant au thriller macabre et comédie noire dont les scènes finales font souvent penser aux tragédies grecques avec un dénouement magistral, vous laissant cependant pantois et des questions plein la tête, sans jamais en obtenir les réponses. Multitudes de conclusions sont envisageables. Quelle que soit la fin, le dénouement est brutal pour Moon-jung, mais dans cet enfer, il y a un espoir, comme souvent dans les films très noirs sud-coréens. La fin cathartique reste ambivalente. La réalisatrice nous laisse finalement décider par nous-même de ce qu’il adviendra du destin de l’héroïne.
Si le film est difficile à regarder, on se laisse tout de même facilement transporter par l’histoire de chacun des personnages, on s’y attache doucement au point d’avoir de l’empathie et ce même quand le scénario tourne au tragique. La façon dont chacun des destins est imbriqué à l’autre est savamment articulé. Le rythme lent du début est rapidement oublié lorsque l’héroïne est soudainement propulsée dans une tragédie qui lui demande de choisir entre la raison et le bon sens ou ses sentiments et ses émotions.
Un casting incroyable : Kim Seo-hyung, qui a récemment remporté le prix de la meilleure actrice pour l’interprétation de son rôle dans Greenhouse, au Daejong International Film Awards, dépeint une héroïne hors du commun, entre dévouement et courage, tantôt discrète et chaleureuse, mais capable du pire au point qu’on ne sait plus s’il faut ou non se fier à sa gentillesse. On notera aussi l’excellente interprétation du vieil homme aveugle, interprété par Yang Jae-sung, qui nous apporte la touche d’humour et la douceur faussement innocente dont on a besoin pour contrebalancer la pesante noirceur.
Âmes très sensibles s’abstenir.
GREENHOUSE
Un film de Lee Sol-hui
Genre : Drame
Durée : 1 h 40
Casting : Kim Seo-Hyung, Yang Jae-Sung, Ahn So-Yo, Shin Yeon-Suk, Woo Mi-Won, Park Ok-Chool
En salle depuis le 29 mai 2024