[ARTISTE] Hanju Lee 

Lors du 09Salon, en plus de nombreux artisans coréens comme Sympathy Studio ou Yvonne Morgun, les visiteurs ont pu découvrir deux artistes coréennes : Hanju Lee et Hyuck Lee.

Dans cet article, nous vous partageons notre rencontre avec Hanju Lee, une artiste à la sensibilité vibrante, capable de transmettre ses émotions profondes et d’ouvrir une porte vers la guérison. À travers ses œuvres, réalisées avec une grande variété de matériaux, elle explore le lien entre l’Homme et la nature.


Rencontre avec l’artiste Hanju Lee

La nature n’est pas simplement le décor de nos vies — c’est une compagne qui nous aide à comprendre et à apaiser le flux de nos propres émotions

K-Society : Pourriez-vous nous en dire plus sur vous ? Comment avez-vous commencé votre carrière artistique ?

Hanju Lee : J’ai passé plus de vingt ans à travailler en tant que designer de livres, complètement immergé dans l’univers du livre et du design. Mais arrivé à la quarantaine bien entamée, j’ai rencontré des difficultés inattendues dans mes relations personnelles. J’ai eu l’impression que tous les efforts et tout l’engagement que j’avais accumulés au fil des années commençaient à s’effondrer. L’anxiété et un profond sentiment de perte se sont installés peu à peu, et j’ai fini par souffrir de troubles paniques. Il y a eu des jours où respirer devenait difficile, des nuits sans sommeil, et de longues périodes durant lesquelles je me sentais perdu dans un tunnel obscur.

C’est à ce moment-là que j’ai eu l’occasion de passer du temps dans la nature — et là, j’ai trouvé un sentiment de réconfort et de paix auquel je ne m’attendais pas. Il est difficile de mettre en mots à quel point cette expérience a compté pour moi.

La nature est devenue bien plus qu’une source d’inspiration : elle m’a donné la force et le courage d’affronter les épreuves de la vie. Depuis, je crée des œuvres qui transmettent cette guérison et cette paix que j’ai trouvées dans la nature. J’espère que, tout comme elle m’a offert un cadeau de réconfort, mon travail pourra à son tour apporter, ne serait-ce qu’un peu, de soulagement à quelqu’un d’autre.

Hanju Lee

[Dans la nature]j’ai trouvé un sentiment de réconfort et de paix auquel je ne m’attendais pas.

K-Society : Parlez-nous de vos œuvres. À travers elles, vous explorez les relations humaines et notre lien avec la nature — par exemple avec Healing Forest.

Hanju Lee : Comme son titre l’indique, Healing Forest porte le message de guérison que la nature nous offre. Une forêt est un espace de calme et de paix, un lieu où l’on peut s’éloigner des conflits, du sentiment d’isolement et du stress du quotidien, et retrouver un certain apaisement intérieur. À travers ce travail, j’espère que les gens pourront prendre un moment pour se tourner vers eux-mêmes, se traiter avec douceur, et commencer à donner un sens aux blessures du passé.

La nature n’est pas simplement le décor de nos vies — c’est une compagne qui nous aide à comprendre et à apaiser le flux de nos propres émotions. Healing Forest est une œuvre importante pour moi, car elle montre à quel point mon monde intérieur est lié à la nature et, par cette connexion, elle offre la force nécessaire pour surmonter les difficultés que nous rencontrons dans nos relations avec les autres.

healing Forest
Healing Forest

K-Society : Pourriez-vous nous en dire plus sur votre processus créatif ? Improvisez-vous beaucoup ou suivez-vous un plan précis ? À quel moment décidez-vous qu’une œuvre est terminée ?

Hanju Lee : Mon processus créatif n’est pas toujours exactement le même, mais en général, il suit plusieurs étapes : trouver une idée (brainstorming) → faire des recherches → planifier et réaliser des croquis → expérimenter les matériaux → créer et assembler l’œuvre → l’installer sur site, et enfin, entrer en relation avec le public.

Cela dépend de l’œuvre — j’alterne souvent entre improvisation et planification rigoureuse. Dernièrement, comme mes projets impliquent de plus en plus de collaborations avec d’autres artistes ou la participation d’un grand nombre de spectateurs, je tends davantage vers des approches structurées et planifiées.

Je considère qu’une œuvre est vraiment terminée lorsqu’elle s’intègre naturellement dans l’espace où elle est installée, permettant au public de s’y plonger pleinement. Quand les éléments sensoriels — tels que la lumière, le son, et les textures — interagissent comme je l’avais imaginé, et que je peux visualiser les gens interagir avec l’œuvre, y trouvant des instants de guérison et de réflexion, j’ai le sentiment que l’œuvre prend vie. Elle devient une expérience vivante à part entière — une expérience qui relie les personnes, l’espace et la nature. C’est à ce moment-là que je sais qu’elle est achevée.

Flower Sea of Mullae
Flower Sea of Mullae

K-Society : Comment travaillez-vous avec des matériaux comme le fer, la lumière, le fil et la nacre ? Pourquoi avez-vous choisi ces éléments ?

Hanju Lee : Pour moi, le fer représente la force, la durabilité et les aspects structurels de la société humaine. Son poids et sa texture froide incarnent la lourdeur ou la tension que nous ressentons dans les relations. Mais en même temps, le fer constitue aussi une base de solidité et de lien. Bien qu’il s’agisse d’un matériau froid et rigide, le fer ne peut être transformé qu’au contact d’une chaleur intense — et en cela, j’y vois un parallèle fort avec les émotions humaines. Nos émotions aussi peuvent se durcir et devenir froides avec le temps, mais elles commencent à s’adoucir et à changer lorsqu’elles sont confrontées à la chaleur — celle de l’amour, de la compréhension et de l’empathie. Ainsi, pour moi, le fer symbolise cet état complexe où froideur et chaleur coexistent, façonnant notre monde émotionnel et notre manière de nous relier les uns aux autres.

La lumière joue un rôle essentiel dans mon travail. Elle représente le changement, l’espoir et la guérison — elle insuffle de la vie à l’espace. En contrôlant la direction, l’intensité et la couleur de la lumière, je peux guider les émotions du spectateur et exprimer visuellement le lien invisible entre la nature et l’humanité.

Le fil est un symbole à la fois délicat et puissant de la connexion — entre les personnes, et entre l’humain et la nature. Bien qu’il paraisse fragile, il devient fort une fois tissé, à l’image des relations humaines. J’utilise le fil pour créer des réseaux ou des toiles dans l’espace, invitant les spectateurs à interagir physiquement avec eux, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités de lien et de communication.

La nacre incarne la beauté naturelle et le mystère du monde. Son iridescence douce et sa texture délicate capturent le caractère organique de la nature, mais c’est aussi un matériau fragile, qui se casse facilement. À travers ces caractéristiques, j’exprime la vulnérabilité et la sensibilité des émotions humaines. Tout comme la nacre, nos sentiments et nos relations peuvent être facilement blessés, facilement brisés. Mais lorsqu’elle est combinée au fer, je peux refléter toute la richesse et la complexité des émotions qui vivent en nous — la force et la fragilité qui coexistent, comme dans la vie.

Hanju lee

K-Society : Vous souvenez-vous de votre première exposition ?

Hanju Lee : Je me souviens encore très bien de ma toute première exposition personnelle, mais ce qui m’est resté le plus, c’est le processus de préparation de l’exposition, en particulier la collaboration avec les artisans de l’atelier de fer local. Leur soutien a largement dépassé la simple réalisation des œuvres. Ils sont venus eux-mêmes à l’exposition, m’adressant des mots de félicitations sincères. Certains ont été si profondément touchés qu’ils en ont versé des larmes, en se sentant connectés à l’histoire que je partageais sur la réconciliation avec ma propre famille. À ce moment-là, l’espace est devenu bien plus qu’une simple exposition ; il s’est transformé en un refuge silencieux, où les émotions que nous portons tous sous le nom de « famille » pouvaient être doucement révélées à la lumière.

La lumière et les parfums ont joué un rôle essentiel dans l’atmosphère de ma première installation. Les visiteurs étaient invités à s’allonger au sol pour vivre pleinement l’œuvre — un geste qui pouvait sembler inhabituel au départ, mais qui a vite encouragé une expérience plus intime, plus contemplative. C’est à travers cet acte simple mais puissant que les frontières entre l’art et le public ont commencé à s’effacer, favorisant une connexion plus profonde.

Un souvenir en particulier me revient avec force : la rencontre avec un visiteur qui avait apporté une boîte de bananes au lieu de fleurs, et la création d’une grande couronne réalisée collectivement avec plus de soixante personnes venues voir mon exposition. Ces instants de générosité silencieuse et d’expérience partagée m’ont profondément marquée, donnant à cette exposition un véritable esprit de communauté et de compréhension mutuelle, qui a dépassé le cadre de l’art lui-même.

Exposition Hanju Lee

K-Society : Votre art est profondément émotionnel. Est-ce une forme de thérapie pour vous ?

Hanju Lee : Pour moi, le processus de création artistique va au-delà de la simple expression. Il devient un processus de guérison. Dans l’acte de créer, je confronte des émotions profondes en moi et les libère à travers la nature et les matériaux, en réfléchissant à mes propres expériences. C’est par ce processus que les blessures et les conflits se réparent, et je trouve souvent un sentiment de paix intérieure. Ainsi, je crois que mon art constitue non seulement une source de réconfort émotionnel et de guérison pour moi-même, mais aussi pour le public.

Pour moi, le processus de création artistique va au-delà de la simple expression. Il devient un processus de guérison. 

K-Society : Pourriez-vous nous parler davantage de certaines de vos œuvres ? Par exemple, Deep Abyss, qui transmet un message de paix et de réconfort, ou Please Take Care of Mom ? Y a-t-il une œuvre particulière que vous aimeriez nous présenter ?

Hanju Lee : L’œuvre Please Take Care of Mom explore la signification profonde de la maternité, en s’inspirant d’une méthode de chasse à la baleine dans laquelle les baleineaux sont attaqués en premier. Lorsqu’un baleineau est blessé, la mère ne quitte jamais son côté, symbolisant ainsi son amour fort et son attachement indéfectible. Même si, pour survivre, les baleines doivent normalement abandonner leurs petits, la mère, elle, ne renonce jamais à son baleineau. Dans ce comportement, je vois l’essence même de l’amour maternel.

En créant cette œuvre, j’ai pu vivre une forme de réconciliation avec ma propre famille, en particulier avec ma mère. Ayant perdu sa propre mère à l’âge de trois ans, je réfléchis à la manière dont ma mère, élevée sans recevoir l’amour nécessaire, a eu du mal à apprendre comment aimer ses enfants. Malgré cela, je me souviens à quel point elle s’inquiétait pour moi et prenait soin de moi, restant toujours à mes côtés au nom de l’amour, même si ce n’était pas toujours comme je l’aurais voulu. Aujourd’hui, en tant que mère de deux enfants, je commence peu à peu à comprendre le cœur de ma propre mère, et c’est cette expérience personnelle que j’ai voulu exprimer à travers cette œuvre.

Please Tale Care of Mom
Please Take Care of Mom

K-Society : Pourriez-vous nous en dire plus sur l’espace que vous utilisez dans le quartier de Munrae-dong ?

Hanju Lee : Mon atelier, Healing Forest, est situé dans le quartier industriel de Munrae-dong, à Séoul, un secteur connu pour sa concentration d’ateliers de métallurgie. En contraste avec cette atmosphère industrielle, Healing Forest est un espace culturel multifonction inspiré par le repos et la guérison. Bien que le bruit du métal qu’on découpe ou qu’on déplace remplisse l’air tout au long de la journée, Healing Forest fonctionne comme un lieu communautaire ouvert, où les habitants du quartier et les visiteurs de Munrae-dong peuvent prendre un moment pour faire une pause et se détendre — exactement comme le suggère son nom.

hanju lee
hanju lee

K-Society : Comment s’est passée votre expérience à Paris et la rencontre avec le public français ?

Hanju Lee : Mon expérience via 09Salon et ma rencontre avec le public français ont été particulièrement spéciales et significatives. J’ai été profondément touchée par l’intérêt sincère et l’empathie du public français envers les émotions délicates et les éléments coréens présents dans mon travail. Ce qui m’a le plus marquée, c’est la capacité de communiquer émotionnellement à travers des matériaux traditionnels, comme la nacre. Cela m’a rappelé, une fois de plus, que l’art peut transcender les frontières et les langues, favoriser l’empathie et la compréhension, et nous réunir en un tout. Cette prise de conscience m’a apporté une grande force et beaucoup d’inspiration pour mon travail.

En particulier, voir des spectateurs verser des larmes en écoutant l’explication de mon œuvre m’a confirmé le pouvoir profond de l’art à toucher les cœurs et à apaiser. Je crois sincèrement que cette expérience si significative a été rendue possible grâce à l’engagement et au soutien de toutes les personnes impliquées, tant en Corée qu’à Paris. Je leur suis profondément reconnaissante et je continuerai à m’efforcer de communiquer sincèrement avec encore plus de personnes à travers mon art.

09 Salon

Cela m’a rappelé, une fois de plus, que l’art peut transcender les frontières et les langues […]et nous réunir en un tout.

K-Society: Avez-vous souvent des échanges avec les personnes qui viennent voir vos installations ? Un échange vous a-t-il particulièrement marquée ?

Hanju Lee : L’interaction avec le public est une partie essentielle de mon travail, c’est pourquoi j’essaie de passer le plus de temps possible dans l’espace d’exposition, à la rencontre des visiteurs. En écoutant leurs ressentis, la manière dont ils perçoivent mon œuvre ou encore leurs interprétations personnelles, je me sens souvent inspirée par leurs histoires. Ce sont dans ces moments-là que j’ai le sentiment de véritablement me connecter à eux à travers l’œuvre.

Un échange m’a particulièrement marquée lors de mon exposition personnelle : une visiteuse est venue plusieurs fois observer les pièces. Elle m’a confié que mon travail avait apaisé ses propres blessures et douleurs. Nous avons eu de nombreuses conversations profondes, et cette expérience m’a permis de prendre conscience de quelque chose de fondamental : l’art dépasse la simple expérience visuelle, il a le pouvoir de guérir les cœurs.

Hanju Lee

K-Society : Y a-t-il des projets sur lesquels vous travaillez actuellement que vous pourriez partager avec nous ?

Hanju Lee : Le projet sur lequel je travaille actuellement est encore en phase de développement, donc je ne peux pas encore en partager les détails. Cependant, comme pour mes œuvres précédentes, le concept tourne autour de la relation entre la nature et l’humanité. Ce qui rend ce projet spécial, c’est que j’intègre des matériaux que je n’ai jamais utilisés auparavant, ce qui, je le crois, apportera une nouvelle approche dans l’utilisation des matériaux par rapport à mes pièces antérieures. À travers ce travail, j’espère inciter les personnes contemporaines à se reconnecter à la nature et à retrouver un moment de paix intérieure. Je prévois de présenter l’œuvre achevée lors de diverses expositions et j’espère qu’elle continuera à susciter votre intérêt.

Hanju Lee

K-Society : Avez-vous un rêve artistique que vous n’avez pas encore accompli ?

Hanju Lee : Cela fait déjà sept ans que j’ai commencé mon parcours en tant qu’artiste. Au fil des années, j’ai fixé de nombreux objectifs et relevé divers défis, mais il me reste encore beaucoup de rêves que j’espère réaliser. L’un de ceux qui me tient le plus à cœur est d’organiser une exposition dans ma ville natale, Chungju, en Corée du Sud. Ma mère y vit toujours, mais en raison de ses problèmes de mobilité, elle n’a jamais pu assister à mes expositions en personne. Elle m’a toujours exprimé son regret à ce sujet, et cela a été pour elle une source de tristesse. C’est pourquoi l’un de mes souhaits les plus profonds est de pouvoir un jour organiser une exposition à Chungju, là où se trouve ma mère, afin de lui montrer mon travail. À travers mon œuvre Please Take Care of Mom, qui reflète ma réconciliation avec elle, je souhaite raconter l’histoire de son amour et lui exprimer toute ma gratitude. Rien que d’imaginer ma mère voir l’œuvre et en être fière me réchauffe déjà le cœur.

K-Society : Y a-t-il un message que vous aimeriez partager avec nos lecteurs ?

Hanju Lee : Le message que j’aimerais partager avec les lecteurs est l’importance de la guérison dans les relations humaines — comprendre les blessures et les douleurs de chacun, et ainsi parvenir à une véritable réconciliation et à l’amour.

Nous sommes tous des êtres imparfaits, et dans nos relations familiales ou avec les autres, il nous arrive d’être blessés, mais aussi de guérir. À travers ces processus, j’espère que nous pourrons peu à peu partager une empathie plus profonde et un vrai réconfort, en grandissant ensemble. J’espère également que mon travail pourra être une petite lumière sur ce chemin pour le public.

Merci à 09Salon et à l’artiste Hanju Lee pour ce partage très émouvant et réconfortant.

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