Dans ce qu’il a de plus noble, le nunchi sert à aider les autres. Afin d’explorer cet aspect, nous avons discuté via zoom avec une femme solaire et pleine de peps : Jeanie Y-Chang. Thérapeute conjugale et familiale, experte en santé mentale des Américains d’origine asiatique et des îles du Pacifique, Jeanie Chang a une approche clinique unique : elle utilise les K-dramas dans ses séances ! Et pour que le plus grand nombre puisse profiter de ses conseils, elle a créé sa chaîne Youtube Noona’s Noonchi où elle décrypte les séries coréennes sous l’angle de la santé mentale.
(Interview extrait du dossier sur le Noochi dans notre magazine K-Society #12 disponible dans la boutique en ligne.)
“Vous utilisez aussi votre nunchi quand vous regardez des K-dramas”
K-SOCIETY : On dit que les Coréens apprennent le nunchi dès l’enfance. Comment ça se passe concrètement ?
JEANIE CHANG (NOONA’S NOONCHI) : Je suis née en Corée du Sud, mais j’ai été élevée aux Etats-Unis. Le mot nunchi est très courant dans la culture coréenne. En fait, les gens disent que c’est le superpouvoir coréen. Enfant, je n’aimais vraiment pas ce mot parce que ma mère et ma grand-mère me disaient : « Ah, tu n’as pas de nunchi ! », « Utilise ton nunchi ! » ou « Allez, ton nunchi n’est pas assez rapide ! ».
Si vous rencontrez quelqu’un, ils veulent que vous sachiez tout de suite, en utilisant votre nunchi, c’est-à-dire votre bon sens : “Ah, je dois me comporter ainsi”, “Je dois m’assurer de faire ça”.
Dans la culture coréenne, le nunchi est très important. Les parents tiennent à ce que les enfants l’utilisent en regardant les adultes. Si vous rencontrez quelqu’un, ils veulent que vous sachiez tout de suite, en utilisant votre nunchi, c’est-à-dire votre bon sens : « Ah, je dois me comporter ainsi », « Je dois m’assurer de faire ça », parce que la culture coréenne, et la culture asiatique en général, respecte les aînés. Et si vous n’utilisez pas votre nunchi pour montrer ce respect, si vous dites ou faites quelque chose qu’il ne faut pas, c’est une insulte. C’était donc très stressant de grandir quand on entendait le terme nunchi. Mais quand je suis entrée à l’université, je menais une vie différente, loin de chez moi, et j’ai réalisé que j’utilisais mon nunchi pour comprendre les gens et j’ai commencé à me rendre compte que ça pouvait être une bonne chose. Là, j’ai compris ce que mes parents voulaient dire.
K-SOCIETY : Le mot nunchi a d’ailleurs fini par devenir votre mot coréen préféré !
JEANIE CHANG : C’est assez drôle, c’est devenu mon mot préféré parce que j’ai pris conscience que j’étais douée pour ça. Tout le monde ne l’est pas. A l’époque où j’étais à l’université, mon grand père maternel – aujourd’hui décédé – m’a fait un compliment, il m’a dit : « Tu as du nunchi ». En tant que grand-père, il ne me parlait pas vraiment – c’est ‘très coréen’. Je ne suis pas l’aînée des petits enfants donc je n’étais pas si importante pour lui. Mais quand j’étais en Corée, il a appris à me connaître. Il m’avait observée et il m’a dit : « Tu as un bon nunchi ». Et je me souviens avoir répondu « Vraiment ? » parce que ma mère n’avait jamais dit ça. Mais il a dit « Oui, c’est vrai ». Et puis il me l’a redit quand je suis devenue maman. Je lui avais de nouveau rendu visite en Corée, c’était il y a 15-16 ans maintenant. Quand tu reçois ce compliment, c’est comme une confirmation, et je crois que c’est vrai. J’ai toujours été douée pour comprendre les gens avant qu’ils ne parlent.
« Le nunchi est devenu mon mot préféré parce que c’est devenu mon superpouvoir, l’une de mes plus grandes forces dans tout ce que je fais aujourd’hui. »
Je vais sentir qu’ils sont vraiment heureux et je vais me demander : « Qu’est-ce qui les rend heureux ? » Je peux rencontrer une personne et penser qu’elle est un peu anxieuse. Même lors d’un appel zoom, je peux dire : « Oh, je viens de remarquer quelque chose : vous semblez un peu nerveux » et mes interlocuteurs vont être surpris, mais je vais dire cela pour aider à améliorer la situation. Beaucoup de Coréens et d’Asiatiques connaissent le nunchi et l’utilisent, mais moi je suis aussi américaine, donc quand je sens quelque chose, je le dis. La plupart des Coréens ne font pas ça. Le nunchi est donc devenu mon mot préféré parce que c’est devenu mon superpouvoir, l’une de mes plus grandes forces dans tout ce que je fais aujourd’hui. Je ne m’occupe pas seulement de la santé mentale, je travaille avec de nombreux dirigeants, je suis aussi coach et chef d’entreprise.
K-SOCIETY : Comment utilisez-vous votre nunchi en tant que thérapeute ?
JEANIE CHANG : Quand je fais face à des questions de santé mentale et que je parle de traumatismes, parfois les gens ne vont pas s’ouvrir à moi, ils sont un peu nerveux et ont peur. Donc je dois utiliser mon nunchi prudemment pour comprendre qu’ils ne sont pas encore prêts à partager ça avec moi, et je vais attendre.
« Le nunchi consiste à aider les autres. »
D’ailleurs, le nunchi ce n’est pas seulement ressentir. Je vous regarde, je regarde peut-être ce que vous faites, et ce n’est pas pour critiquer, c’est juste observer pour vous aider. C’est ce que je veux souligner : ce n’est pas pour m’aider moi. Le nunchi consiste à aider les autres.
K-SOCIETY : Pourquoi avez-vous décidé d’utiliser les K-dramas avec vos patients ?
JEANIE CHANG : Il y a plusieurs années, j’étais un peu découragée parce que j’essayais d’aider les gens et que c’était stressant. Et puis, alors que je regardais un drama, je me suis dit : « Attends une minute, c’est un bon exemple, ça ! ». Puis j’ai commencé à activer mon nunchi pour prendre conscience des exemples qui m’ont aidée à aider d’autres personnes, et ensuite c’est devenu amusant. Tout le monde aime parler de K-dramas mais tout le monde n’aime pas parler de la santé mentale. Donc parfois je vais dire : « Que se passe-t-il ? J’ai besoin que vous m’en disiez plus. » Les gens vont peut-être me répondre qu’ils vont bien, mais ensuite j’utiliserai un K-drama pour en parler, pour les aider, en leur disant : « Regardez, cette maman n’arrêtait pas de dire qu’elle allait bien mais elle n’allait pas bien. Vous souvenez-vous de cette histoire ? ».
Tout le monde aime parler de K-dramas mais tout le monde n’aime pas parler de la santé mentale.
Avec les séries coréennes, les gens pourraient juste voir des histoires amusantes, mais moi je vois quelque chose de plus profond que ça parce que je travaille sur le traumatisme, la dépression, l’anxiété et même avec des gens qui veulent se faire du mal. Je vais déceler dans un K-drama ce que les gens pourraient ne pas voir car ce n’est pas leur expertise. Pour moi, c’est donc un peu un moyen de créer des liens et d’aider les patients à partager sur la santé mentale.
K-SOCIETY : Quel est le lien entre le nunchi et le bien-être ?
JEANIE CHANG : Je travaille avec beaucoup d’Asiatiques, mais beaucoup de gens même non-asiatiques regardent des séries
coréennes, n’est-ce pas ? Les gens ne vont pas facilement se dire déprimés. Certaines personnes le font, mais c’est toujours très
difficile d’en parler. Alors le nunchi, ce n’est pas seulement une question de bien-être, il faut que moi, j’aille plus en profondeur. Si une personne me dit qu’elle est déprimée, je ne peux pas simplement dire : « D’accord, travaillons là-dessus ». Je dois aller plus loin : « Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ? ». Il faut penser à la famille et à son histoire afin que le nunchi aille en profondeur.
Donc j’utilise le nunchi pour apprendre vraiment à connaître l’histoire des gens. Et vous savez, dans les K-dramas on voit ces histoires, c’est pourquoi les gens aiment les regarder, parce qu’ils pensent : « Oh, c’est mon histoire » ou « Je ne suis pas coréenne mais cette femme est en train de vivre ce que je vis » etc. et c’est la partie nunchi des K-dramas.
Donc je dis aux gens : “Vous utilisez aussi votre nunchi quand vous regardez les dramas, en réalisant que ça parle de vous et en en tirant une leçon”.
Pourquoi on regarde les K-dramas ? Parce que c’est drôle mais aussi parce qu’on peut s’identifier. Tout le monde les regarde en utilisant aussi son nunchi, en se disant « Oh ça m’est arrivé. Maintenant je sais quoi faire ». Donc je dis aux gens : « Vous utilisez aussi votre nunchi quand vous regardez les dramas, en réalisant que ça parle de vous et en en tirant une leçon. »
K-SOCIETY : Les séries coréennes sont très différentes des séries américaines ou françaises…
JEANIE CHANG : Oui, c’est très émouvant ! Et c’est la partie nunchi. Les gens ne se disent pas qu’ils utilisent leur nunchi, ils vont juste être touchés en pensant : « Oh mon Dieu, cette personne traverse une période tellement difficile, je le sens ». Vous ne traversez peut-être pas une période difficile, vous ressentez simplement l’émotion et cela fait partie de votre nunchi qui s’active parce que vous le ressentez, même s’il ne s’agit pas de vous.
Tout le monde peut avoir la capacité d’utiliser le nunchi.
Ce que je veux dire, c’est que tout le monde peut avoir la capacité d’utiliser le nunchi et beaucoup le font, sauf que la manière coréenne de l’utiliser est une manière constante, ça fait partie de la culture.
K-SOCIETY : Comment choisissez-vous les dramas dont vous allez parler sur votre chaîne Youtube Noona’s noonchi ?
JEANIE CHANG : En général, je choisis tout ce qui me parle. Evidemment, ça va dépendre des K-dramas que je regarde et du thème du mois. Je choisis les thèmes en fonction de ce que je pense être important, ce qui me vient à l’esprit, je fais partie de ces personnes qui ne réfléchissent pas indéfiniment. Ce n’est pas censé être stressant, donc dès que je sais que mon thème est sur les relations, je vais me dire « Ah ce drama est pour une vidéo sur la famille. Celui-ci est bon pour la romance ». Ensuite je filme, tout simplement, pour ne pas trop réfléchir. Parfois, quand je regarde un drama, je vais prendre des notes, parfois non. Si je pleure – je suis comme ça, je pleure tout le temps vous savez (rires) – je vais me faire une note mentale en me disant « Ok, épisode 3, c’est une belle scène, c’est vraiment une belle leçon, je vais partager cela avec mes clients ». Donc je choisis en fonction de ce que je ressens et de ce que ça m’apprend aussi. Je veux rester authentique, je ne veux pas être négative, il y a déjà tellement de négativité dehors ! Il y a des gens qui me disent que dans les K-dramas il y a de mauvais exemples et je réponds qu’ils ont raison, je ne le nie pas. Mais mon travail consiste à vous faire vous sentir mieux, donc je ne veux pas citer les mauvais exemples. Je veux vous montrer les exemples qui vont vous aider pour votre santé mentale.
K-SOCIETY : Avez-vous un conseil pour nos lecteurs désireux de développer leur nunchi ?
JEANIE CHANG : Croyez en vous, c’est-à-dire suivez ce que vous ressentez en premier. Ne vous demandez pas ce que les autres ressentent. Vous vous sentez mal ? Ou super bien ? Choisissez-vous en premier. Le nunchi passe en premier. Il faut savoir ce que l’on ressent pour comprendre le nunchi. Parfois, on ne s’écoute pas et c’est pourquoi les gens sont stressés. Je tiens donc à vous dire : écoutez vous d’abord.
Vos émotions, ce que vous ressentez est réel ! Une fois que vous l’aurez accepté, votre nunchi pourra mieux se déclencher.
Vos émotions, ce que vous ressentez est réel ! Une fois que vous l’aurez accepté, votre nunchi pourra mieux se déclencher. Sinon,
vous allez tout le temps ignorer vos propres sentiments. Le nunchi ne peut pas être utilisé si vous ne comprenez pas ce que vous êtes en train de vivre. Si vous vous sentez bien, vous pouvez sentir que les autres ne se sentent pas bien. Si vous avez conscience d’être mal à l’aise, vous pouvez voir que cette personne aussi est mal à l’aise, ou que ces personnes sont à l’aise et vous allez vous dire « Allons leur parler, elles me permettront de me sentir mieux ». C’est le secret de la santé mentale. Croire en ses propres émotions est très difficile, surtout pour les femmes. Elles disent des choses comme « Je ne sais pas pourquoi je suis en colère ». Je leur réponds : « Vous êtes en colère, c’est ok. Quelque chose vous a mis en colère ». Mais ensuite je vais leur demander ce qui les a énervées afin qu’on réfléchisse là-dessus, mais vous ne m’entendrez jamais leur dire de ne pas être en colère. En fait, quand quelqu’un vous dit de ne pas vous inquiéter, de ne pas être fâché… ce n’est pas la bonne chose à dire car cela ne fait qu’empirer votre sentiment. C’est normal d’être en colère, d’être triste, d’être heureux. C’est normal et c’est important pour votre santé mentale.
Noona’s noonchi
Site internet : https://noonasnoonchi.com
Instagram @noonasnoonchi
Chaine Youtube
Retrouvez notre dossier sur le Noonchi dans K-Society #12
DÉCRYPTAGE : Quels personnages de K-dramas ont le meilleur nunchi ? Le top 3 de Noona’s Noonchi
A retrouver dans K-Society #12
A paraitre prochainement : How K-Dramas can transform your life ? Powerful Lessons on Belongingness healing and Mental Health
Il sera normalement aussi disponible en français.