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Interview Cho Nam Joo ‘KIM JI-YOUNG, Born in 1982’

Véritable roman phénomène, “Kim Ji-young, Born in 1982”, a été traduit dans plus d’une vingtaine de langues. Vendu à des millions d’exemplaires et adapté au cinéma en 2019, il arrive en France chez les Editions du Nil.

Trouvant son inspiration dans les témoignages sur internet, réseaux sociaux, interviews, livres et dans les reportages, Cho Nam Joo a ainsi voulu donner la parole au plus grand nombre de femmes possible. Photographie de la femme coréenne piégée dans une société traditionaliste, le livre a secoué la Corée du Sud lors sa sortie en 2016.

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« Je voulais laisser une “archive”, une trace authentique d’une femme coréenne »

K-Society: Pourquoi ce livre ? Comment vous est venue l’idée de cette étrange maladie ? Souhaitiez-vous donner ainsi la parole à toutes les femmes ?

Cho Nam Joo : En 2015, à l’époque où j’ai commencé à écrire le roman, plusieurs événements étaient arrivés en Corée. Une rumeur a circulé que des femmes avaient refusé d’être mises en quarantaine lors du MERS-CoV – Coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient – ce qui, bien évidemment, était une fausse rumeur. Dans de nombreux médias et sur internet, des propos misogynes se sont alors propagés, devenant même populaires avec l’apparition du mot “MomChung” (contraction de “Mom” – Mère – et “Chung” – Insectes).

born in 1982

On a aussi appris que le plus grand site de pornographie coréen diffusait des contenus illégaux et vidéos de viols librement. Je trouvais injuste qu’une personne soit soumise à la critique et à la violence uniquement parce qu’elle était une femme, la frustration, la fatigue et la peur que les femmes ressentent parce qu’elles sont femmes. Des histoires trop communes et répandues. Je souhaitais donc écrire une histoire qui ne soit pas trop banale sur ce sujet. Je voulais que les voix soient liées entres elles plutôt qu’une démonomanie (une personne se croyant habitée par un ou plusieurs démons, ndlr), et les voix des femmes seraient ainsi connectées les unes aux autres.

K-Society : Pourriez-vous nous donner quelques situations qui, selon vous, expliquent bien à quel point la misogynie est répandue en Corée ?

Cho Nam Joo : Je trouve que les membres de la société coréenne, en particulier les femmes coréennes, vivent une période très importante. On voit enfin des réponses à toutes ces protestations, pétitions et manifestations. Les contenus médiatiques et les commentaires de discrimination sexuelle diminuent, tandis que les récits centrés sur les femmes augmentent dans la culture et la littérature populaires. Il y a eu une révision de la loi pour renforcer la répression des délits sexuels pour ceux qui ont été désignés comme agresseurs de #MeToo.

L’incohérence constitutionnelle a été prononcée contre l’avortement. Pendant longtemps, nous avions un sentiment de cynisme et de défaite, mais nous constatons que plus nous en parlons, plus les choses changent.

K-Society : Quelle est votre position et quelles sont pour vous les combats les plus importants pour la place des femmes en Corée, actuellement ?

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Cho Nam Joo : Récemment, il y a eu le scandale des “Nth Room”. Des personnes réalisaient et diffusaient des vidéos d’agressions sexuelles de femmes – dont des mineures – sur internet via l’application Telegram – une application de message anonyme. Ces personnes ont été arrêtées.
Des équipes d’enquêtes et d’interventions spéciales du Ministère de la Justice ont été mises en place pour aider à arrêter et punir, non seulement ceux qui produisent et distribuent des vidéos d’agressions sexuelles, mais aussi ceux qui les achètent et les consomment.
En plus des nombreux harcèlements, agressions sexuelles ou cas de “Stalking”, on voit une montée en flèche des délits sexuels numériques et sites internet, ainsi que des événements largement médiatisés telle que l’affaire du Burning Sun avec Seungri (ex-Membre du groupe Big Bang ) ou les incidents du Dark-Web. Les criminels n’étaient jamais punis de manière exemplaire, les femmes étaient alors en colère et désespérées mais elles n’ont jamais abandonné. Nous en sommes là aujourd’hui, grâce à toutes ces personnes qui ont dénoncé ces criminels, tout en aidant les victimes. Je soutiens et respecte les femmes coréennes qui ont marché ensemble et qui ne sont pas prêtes de s’arrêter.

K-Society : Quelle est votre définition du féminisme ?

Cho Nam Joo : Je pense que le féminisme est une garantie que toute personne devrait être à l’abri de violence ou de menace, sans être limitée dans ses opportunités ou possibilités uniquement en raison de son sexe. Dans ce sens, ce roman est un roman féministe et je suis féministe. Le féminisme n’est pas un critère de qualification ou de censure. Je pense que c’est un objectif et une attitude. Je ne veux pas que le mot féminisme soit utilisé trop strictement et j’essaie d’utiliser souvent ce mot au quotidien.

« Le féminisme n’est pas un critère de qualification ou de censure. Je pense que c’est un objectif et une attitude. »

K-Society : Votre livre est tout en nuance. Nous avons eu l’impression que vous vouliez que le lecteur s’interroge de lui-même et non pas lui imposer un point de vue. Etait-ce le but de votre démarche ?

Cho Nam Joo : Le premier objectif de ce roman était de laisser une « archive ». Au moment de la rédaction, l’image de la femme coréenne dans les médias ou sur internet était celui d’une personne consumériste, émotionnellement tordue et dénuée de bon sens. J’avais peur que l’on conserve cette image de la femme coréenne du début du XXIe siècle. Donc je souhaitais laisser une trace authentique d’une femme coréenne avec ses pensées et ses efforts. Je pense que le lecteur a ainsi pu voir la réalité et se poser les bonnes questions via ce roman extrêmement réaliste.

K-Society : Comment s’est passée l’adaptation au cinéma ? A quel point étiez-vous impliquée ? Que pensez-vous du résultat ?

Cho Nam Joo : Le roman est une composition, comme une biographie, des étapes de la vie de Kim Ji-young, alors que le film est centré sur le présent. La conclusion du film est plus encourageante que celle du roman. J’ai pu lire le scénario en amont du film mais je ne suis pas intervenue, j’avais confiance dans le producteur et la réalisatrice. Et, en voyant le résultat, je pense que j’ai eu raison.

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K-Society : Le film et le livre ont beaucoup fait parler d’eux. Vous attendiez-vous à un tel succès, un tel écho en Corée ? Les étoiles se sont alignées avec le mouvement #MeToo – un hasard qui n’était pas du tout calculé semble-t-il.

Cho Nam Joo : Les problèmes des femmes coréennes pourraient être “mon problème” et “le problème de toutes les Kim Ji-young dans le monde”.
Après la publication du roman, un documentaire est sorti à la TV, traitant de la vie et des problèmes des femmes nées dans les années 1980. Une enquête par le Ministère de l’emploi en Corée a été effectuée concernant les femmes nées en 1982. La procureure Seo Ji-Hyun a également cité le roman lors de l’affaire #MeToo. Une loi du nom du roman “Kim Ji-young, born 1982” a même été proposée contre la discrimination à l’emploi de par son sexe. Il semble que le roman ait permis de mettre en lumière les problèmes auxquels on n’apportait pas assez d’attention.

K-Society : Vous terminez votre livre en donnant la parole à un homme : « quel que soit son talent, une femme qui a encore des enfants à charge cause des soucis. Je prendrais une célibataire pour la remplacer. » Alors que dans le film, la fin est plus optimiste sur une Ji-young qui va de l’avant. Pourquoi ce choix et ces différences ?

Cho Nam Joo : Ce n’est pas vraiment une fin pessimiste. Lorsque nous parlons de la haine contre les femmes et de la discrimination sexuelle, nous disons souvent : « Pensez à votre mère » ou « Pensez qu’elle pourrait être votre femme ou votre fille » en nous adressant aux hommes. Mais je pense qu’il y a des limites à une telle approche. Ce n’est pas une question de faveur, c’est une question de bon sens. C’est le message que j’aimerais faire passer via ce roman.

« Ce n’est pas une question de faveur, c’est une question de bon sens. C’est le message que j’aimerais faire passer via ce roman. »

Je ne sais pas qu’elles étaient leurs intentions en choississant cette fin pour le film, le médium étant différent, plus global. De plus, le livre a été publié en 2016 en Corée et le film est sorti en 2019. Il semble donc que, par certains aspects, cela montre les changements intervenus entre temps dans la société coréenne.

ROMAN : KIM JI-YOUNG, NÉE EN 1982

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Résumé : Kim Ji-young est une femme ordinaire, affublée d’un prénom commun, le plus donné en Corée du Sud en 1982, l’année de sa naissance. Elle vit à Séoul avec son mari, de trois ans son aîné, et leur petite fille. Elle a un travail qu’elle aime mais qu’il lui faut quitter pour élever son enfant. Et puis, un jour, elle commence à parler avec la voix d’autres femmes. Que peut-il bien lui être arrivé ? Cho Nam-joo est née en 1978 en Corée du Sud. Scénariste pour la télévision, elle publie en 2016 son premier roman « Kim Ji-young, née en 1982 ». Dès sa sortie, le roman crée la polémique. C’est l’un des rares livres à avoir dépassé plusieurs millions d’exemplaires en Corée.

Auteure : Cho Nam-Joo
traduit du coréen par Pierre Bisiou et Kyungran Choi
Date de sortie : 14 Octobre 2016 en Corée
Date de sortie en France : 2 Janvier 2020
Disponible chez les éditions du NiL
Prix : 18,50 Euros

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ADAPTATION CINÉMA : KIM JI-YOUNG BORN 1982
« Le film va se concentrer sur la création d’une Kim Ji-young avec laquelle le spectateur pourra se sentir proche, sans dénaturer les valeurs clé du livre » a annoncé la réalisatrice Kim Do-young. A l’image de la sortie du roman, le film a déchaîné les commentaires misogynes lors de sa sortie en salle et, bien avant, les acteurs ont dû faire face à des commentaires haineux sur le net, notamment l’actrice Jung Yu-Mi.

Le saviez-vous : C’est la 3ème fois que le duo d’acteurs se retrouve dans le même casting après le poignant Silenced, le zombiesque Dernier train pour Busan et le résolument feministe Kim Ji-young, née en 1982.

Notre avis : L’actrice Jung Yu-Mi est criante de vérité dans le rôle de Ji-young, donnant la réplique à un Gong Yoo impuissant et perdu face à la détresse de sa femme. Un message fort qui ne vous laissera pas insensible et aura le mérite de faire réfléchir. Une belle claque.

KIM JI-YOUNG, NÉE EN 1982
Réalisatrice : Kim Do-young
Scénaristes : Kim Do-young et Yoo Young-ah
Durée : 120 min
Date de sortie : 23 Octobre 2019
Casting : Jung Yu-Mi, Gong Yoo, Kim Mi-kyeong, Kim Seong-cheol

Extrait de K-Society #4 en 2020

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