Découvrez la face cachée du son avec le monde des bruitages
INTERVIEW de Jeong Ji-Soo
Bruitages : La face cachée du son
« Les bruitages montrent aussi ce qu’on ne voit pas à l’écran et rendent tout plus réaliste »
Qu’il s’agisse des séries ou des films, la musique n’est pas la seule à illustrer les émotions que ressentent les personnages. Des claquements de pas à la manière dont une main froisse le tissu, les bruitages permettent aussi de traduire la tristesse, la colère ou la joie des personnages. Via Zoom – covid-19 oblige – nous avons interviewé Jeong Ji-soo, le bruiteur du studio de post-production coréen C-47 à Séoul. Au quotidien, dans son studio d’enregistrement high-tech, il imite une mère forçant son enfant à manger un ver en accentuant le “slurp” de ramen qui trempent dans leur sauce, il recrée une marche dans la forêt en tapotant avec des gants des feuilles d’automne mouillées ou secoue les décorations en papier d’une lampe suspendue pour évoquer le son du vent à travers les feuilles…
K-Society : Quel est le rôle du bruiteur ?
Jeong Ji-soo : Dans les films, les bruitages sont des sons humains – lorsque je touche, lorsque je mange quelque chose. Les effets sonores s’occupent des autres sons, par exemple les chaussures, le bruissement des feuilles ou le glouglou d’une rivière. C’est un travail qui arrive à la toute fin du processus de montage. Au studio de post-production où je travaille, C-47, nous avons une librairie d’effets sonores et de bruitages. Il y a tellement de films à éditer que nous ne pouvons pas faire tous les sons à chaque fois. Cela dit, je n’aime pas l’utiliser (rires). Souvent, je passe plus de temps à chercher le bruitage que je veux, qu’à l’enregistrer moi-même
K-Society : C’était votre métier de rêve ?
J.J.S. : Je n’aurais jamais pensé que je deviendrais bruiteur, surtout à l’université. A l’époque, je voulais surtout faire de la musique. J’ai trouvé une formation à Vancouver au Canada où je pouvais apprendre à faire des compositions numériques (au format MIDI). L’un des cours nous enseignait à enregistrer les sons et je me suis vite rendu compte que j’adorais ça. Comme je devais gagner de l’argent à un moment donné – et que la musique rapporte peu – je suis plutôt parti en école de cinéma et j’ai approfondi ma connaissance du son dans les films…
K-Society : Et c’est à ce moment-là que vous avez décidé de devenir bruiteur ?
J.J.S. : Toujours pas ! Je voulais mixer le son. J’ai suivi un programme d’un an pour me spécialiser là dedans, puis je suis rentré en Corée pour faire mon service militaire de deux ans. Quand j’en suis sorti, j’ai appelé mes amis pour travailler en post-production et l’un d’eux m’a rappelé pour me proposer un job de bruiteur. Je n’avais aucune expérience donc j’ai dit oui. C’était il y a douze ans (rires). Je n’avais aucune idée de ce que je faisais – je n’avais jamais enregistré de bruitages. Les débuts ont été très difficiles et encore aujourd’hui, c’est un challenge permanent. C’est ça qui est génial et c’est pour cela que je fais encore ce travail.
K-Society : Est-ce qu’il y a de grandes différences entre être un bruiteur en Corée ou aux Etats-Unis ?
J.J.S. : Je ne crois pas que ça soit très différent, surtout pour les films. Pour les séries, par contre, en Corée il n’y a vraiment pas le temps pour les bruitages. Notre boîte travaille parfois sur des dramas, mais personnellement, je n’aime pas cela. J’ai besoin de temps pour enregistrer mes bruitages – j’ai besoin d’essayer différentes manières pour trouver celle qui colle parfaitement avec l’ambiance et le personnage.
K-Society : Y-a-t-il de grands noms parmi les bruiteurs ?
J.J.S. : Il y a quelques bruiteurs connus aux Etats-Unis, mais je ne me souviens pas de leurs noms. Globalement, je regarde surtout leurs vidéos explicatives sur Youtube pour écouter leurs sons et voir comment ils les font. Cela m’inspire parfois. Mais bruiteur est un métier de coulisses, personne ne nous connaît vraiment.
K-Society : Quels sont les bruits que vous avez dû réaliser qui vous ont le plus marqué ?
J.J.S. : Lorsque j’ai travaillé sur mon premier film, donc, je n’avais aucune idée de comment faire un son. Cela m’a pris deux mois pour comprendre les bases. Il y avait ce son d’épée que je devais réaliser dans le film. Pendant le tournage, les acteurs utilisent des accessoires et l’épée faisait un faux bruit, une sorte de raclement de paille en plastique, sur les enregistrements. J’ai essayé tellement de choses pendant des semaines… Je n’avais aucune idée de comment aborder le problème et je ne pouvais demander à personne parce que je ne voulais pas montrer mon manque d’expérience. Et puis j’ai fini par avoir mon épiphanie : j’ai rapporté un couteau de chez moi et je l’ai fait glisser contre une plaque en inox. Tadam, j’avais mon bruit d’épée.
K-Society : Heureusement, cela doit vous prendre moins de temps avec plus de dix ans d’expérience…
J.J.S. : Oui, pour un film de deux heures, cela nous prend généralement deux semaines pour créer les bruitages et deux semaines pour mixer le son. Si un son est difficile, cela peut prendre plus longtemps. Une fois, j’ai travaillé sur un film d’horreur et il y avait cette scène avec une enfant qui mangeait un rat dans sa chambre. Bien sûr, l’actrice ne mangeait pas un rat donc il fallait créer le son. Cela m’a pris tellement de temps… J’ai essayé des haricots, des grappes de raisins… mais tout était trop faible. Finalement, j’ai ramené du jokbal – une spécialité coréenne de pieds de porc – et en machouillant les os et d’autres restes, j’ai réussi à obtenir le son. Je ne pouvais pas manger le jokbal, bien sûr, juste le mâcher et le cracher, tout en regardant cette petite fille qui mangeait un rat (rires).
« Le bruit parfait pour imiter quelqu’un en train de faire caca : du ketchup, une banane et une poire. »
K-Society : C’est un travail plutôt physique, en fait.
J.J.S. : C’est sûr que je dois rester en bonne forme. Il faut être capable de réaliser plein de sons avec son corps : si dans une scène, quelqu’un court, je dois courir. Si quelqu’un frappe quelque chose, je dois le frapper. Et souvent je dois m’y reprendre à plusieurs fois pour réussir à parfaitement coller au jeu de l’acteur.
K-Society : Comment met-on de l’émotion dans un bruit ?
J.J.S. : Il faut vraiment analyser la scène et le personnage. Je regarde comment il bouge, ce qu’il se passe ou ce qu’il s’est passé dans la scène précédente. Par exemple, si quelqu’un marche après avoir rompu avec sa copine, je dois rendre ce son triste. Je dois connaître l’histoire générale, mais aussi celle de chaque protagoniste avant de commencer le travail pour que tout s’harmonise.
K-Society : Faut-il toujours que le son soit parfaitement réaliste ?
J.J.S. : Cela dépend. Par exemple, j’ai dû réaliser le son d’une personne aux toilettes qui fait caca. Tout le monde sait à quoi ressemble ce bruit, donc celui que je produis doit en être le plus proche possible. Mais je ne pouvais pas vraiment enregistrer quelqu’un en train de faire sa grosse commission (rires). J’ai donc tenté plein de choses avec des fruits ou du pain. Et puis finalement, au bout d’une semaine, j’ai trouvé la combinaison parfaite : une bouteille de ketchup, une banane et une poire. Parfois, je me dis que j’ai vraiment créé de beaux sons avec mon travail (rires).
K-Society : Il faut donc aussi créer des sons qui n’existent pas vraiment ?
J.J.S. : Il y avait cette scène où un gars offrait une bague à sa copine. Il essayait de lui passer l’anneau au doigt et bien sûr, cela ne fait pas de bruit dans la réalité. Mais il fallait que j’en crée un pour le film. J’ai essayé de me passer plusieurs bagues au doigt, mais cela ne faisait jamais de bruit, donc j’ai tenté autre chose : taper l’anneau avec une baguette. Cela faisait un “ding” qui m’a plu et que j’ai décidé de garder.
Autre exemple, les bruits de vêtements. J’ai dû réaliser tous les sons de vêtements pour un film de deux heures. Mais il y avait ce moment où deux hommes se battaient torse-nu sur un ring. On ne voyait pas leurs vêtements (des shorts et des baskets) car le plan coupait tout ce qui se trouvait en dessous de leur poitrine. Il a donc fallu que j’invente les bruits de vêtements invisibles à l’écran pour accompagner leurs mouvements. Même si les bruits n’existent pas – ou viennent de choses que l’on ne voit pas -, ce sont aussi eux qui permettent de rendre un film réaliste.
Allez plus loin dans les bruitages avec la série : ANOTHER MISS OH
A la découverte de la fabrique du son
Résumé : Oh Hae-young est déprimée. Elle prétend que c’est elle qui a rompu avec son fiancé la veille de leur mariage auprès de sa famille ou ses collègues, mais en réalité, c’est lui qui l’a quittée sans vraiment lui expliquer pourquoi. C’est dans cet état qu’elle rencontre Park Do-kyung, un célèbre directeur son qui a lui aussi été quitté devant l’autel par sa fiancée… une autre Oh Hae-young. Attirés l’un vers l’autre comme des papillons vers une flamme, leur romance naissante est toutefois menacée par de nombreux secrets. Le principal : Park Do-kyung a d’étrange visions de son futur avec Oh Hae-young depuis plusieurs mois…
Notre Avis
Another Miss Oh est un drama qui parle de passion. La passion dévorante qui naît entre les deux héros, la passion destructrice qu’ils vouaient à leur ex, et puis la passion chronophage qu’ils ont pour leur travail. Celui de Park Do-kyung notamment. Bon à savoir : en réalité, plusieurs équipes gèrent ce qu’il fait tout seul : à savoir une équipe bruitage, une équipe pour les effets audios, une équipe de mixage. Le fait qu’il porte toutes les casquettes permet néanmoins au spectateur de plonger la tête la première dans le monde fascinant de la fabrique du son. Certains moments sont tellement intenses qu’ils restent en tête, des années après le visionnage.
Dans l’un d’eux, Park Do-kyung cherche les sons qu’il va utiliser dans une scène. A l’écran, le personnage du film se trouve assis à l’intérieur d’une pièce. La fenêtre est un peu entre-ouverte en arrière plan et le soleil brille à travers la vitre. Do-kyung décide d’y ajouter l’enregistrement de rires et de cris d’enfants en train de jouer dehors – le meilleur moyen de suggérer l’été, la décontraction et la joie – et explique longuement à quel point ce genre de détails (rarement remarqués par le spectateur) changent tout à l’ambiance d’une scène. Une remarque qui fait réfléchir et prêter beaucoup plus d’attention à ce travail de coulisse.
Bien entendu, la célébrité de Do-kyung est irréaliste (personne ne connaît vraiment les bruiteurs) et les louanges de son génie sont exagérées – mais, à l’image du drama, la présentation du métier de bruiteur n’en est pas moins forte et séduisante…
IDENTI-K
ANOTHER MISS OH
Original : 또 오해영
Genre : Romance – Comédie – Supernaturel
Réalisateur : Song Hyun-Wook
Scénariste : Park Hae-Young
Episodes : 18
Casting : Eric Mun, Seo Hyun-Jin, Jeon Hye-Bin, Ye Ji-Won, Kim Ji Suk, Heo Jeong-Min, Lee Jae-Yoon, Lee Han-Wi, Kim Mi-Kyung, Heo Young-Ji
Networks : tvN (2016)
La série est disponible sur Netflix
Extrait du dossier : L’univers des OST dans le numéro #5 de K-Society Magazine